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Ghislaine Sathoud

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Ma princesse

Ghislaine Nelly Huguette Sathoud

Notre famille a traversé des grandes épreuves : je me souviens encore de la journée qui précédait notre passage à l’audience pour la décision sur notre demande d’asile. Je m’en souviens encore dans les moindres détails. Comme si c’était hier seulement ! Même après toutes ces années, je me souviens très bien de cette journée inoubliable.
En effet, toute la nuit, nous n’avions presque pas fermé l’œil un seul instant. Il fallait se livrer à l’exercice périlleux de mettre sur papier ses idées. Les demandeurs d’asile doivent écrire une histoire qui explique les raisons et les motivations de cette démarche. Toute la famille devait se réunir pour discuter et mettre ensemble nos idées sur papier. Personne n’aimait cet exercice qui réveillait forcément tous les mauvais souvenirs sur cet exil forcé. Personne n’aimait ça. Je n’étais pas la seule. Pourtant, notre avocat en avait besoin lors de notre rencontre pour la préparation à l’audience…

Comme c’était le cas depuis fort longtemps déjà, nous nous rendions chez notre avocat pour préparer notre défense. Je n’aimais pas cet exercice-là non plus. Mon conjoint également ne cessait de parler de son dégoût. Nous en avions parlé longuement. Malheureusement dans notre situation, ce n’est pas toujours nos avis qui comptaient. Il fallait se prêter bon an mal an à toutes les exigences pour bénéficier du droit d’asile. Après avoir été chassés de notre pays, devions-nous encore subir toutes ces formalités pour essayer de vivre librement ?
Bref, cette période est révolue et nous avions reçu le droit de poser nos valises ici. Nous vivons désormais sans souci pour ce qui est de la situation administrative. Nous avions obtenu le « droit » de recommencer notre vie ici. C’est bien de cela qu’il s’agit : un recommencement. Peut-on vraiment parler de continuité ou de prolongement lorsqu’on se retrouve ainsi dans un nouvel environnement et qu’il faut apprendre à se faire des repères, essayer de se faire des amis, finalement se reconstituer un tissu social?
Autrement dit, il faut « renaître » de nouveau…

En conséquence, il faut apprendre les us et les coutumes de la société d’accueil.
À ce sujet, cet exercice n’est pas du tout reposant. L’adaptation au climat est un défi de taille qui continue de tourmenter nos méninges. Si, si, j’éprouve toujours de grandes difficultés en hiver.
Finalement, comment faut-il faire pour réussir facilement à intégrer des changements dans son quotidien sans pour autant renier sa culture ? D’un autre côté, on a l’impression que des caméras de surveillance «épient» tous nos gestes pour veiller à ce que les coutumes du pays d’origine restent inchangées.

Pour le commun des mortels, certaines journées sont plus éprouvantes que d’autres. D’ailleurs, certaines périodes de l’année sont plus stressantes que d’autres, aurais-je envie de dire. Et pour abonder dans le même sens, cette différence est perceptible au niveau des responsabilités parentales…Oui, chaque journée est différente et unique pour les parents. En ce qui nous concerne, nous les mères migrantes, de nombreuses différences sont perceptibles : nous devons aider à «faciliter» l’intégration de nos enfants dans la société d’accueil.

Nous avons également la responsabilité de transmettre à ces enfants-là la culture du pays d’origine.

L’enjeu est de taille ! La pression est forte.
— Maman, je dois choisir moi-même mon déguisement, lançait ma fille excitée.
L’Halloween a toujours été une grande interrogation pour moi. Disons que cette fête ne figurait pas dans le calendrier dans mon pays d’origine. Une nouveauté donc pour moi.
— Maman? reprenait-elle d’un ton suppliant.
— Attends…Calme-toi !
— Je dois faire la ronde pour demander des bonbons, viendras-tu avec moi ? Tu dois venir hein maman ! s’empressait-elle d’ajouter impatiente d’avoir une réponse.

Voilà un fait qui prouve encore que je suis toujours dans l’apprentissage des us et coutumes de ma société d’accueil. La semaine dernière j’en parlais justement avec une dame. Une immigrée comme moi sauf que nous venons de deux continents différents. Dans mon Afrique natale, cette fête n’existait pas. Donc c’est déjà un apprentissage et je dois transmettre en plus à mes enfants ce que j’en sais. Comment apprendre aux enfants ce que je ne connais pas, ce que j’apprends à connaître ? Sans compter qu’il faut également participer à la fête ! Contrairement à mon interlocutrice de la semaine dernière qui est très catégorique et refuse que ses enfants y participent, je me questionne pour essayer de trouver le moyen de trancher la poire en deux. Je me questionne parce que mes enfants sont dans un autre environnement et cette fête est associée aux autres fêtes qui retiennent l’attention des enfants dans notre pays de résidence.


Finalement jusqu’où interdire ? Jusqu’où tolérer ? Que faut-il faire ? Comment faut-il vivre ? Quelle est la bonne conduite ?
— Je veux me déguiser en vampire, me lançait ma fille.
— Tu exagères, voyons donc !
— S’il te plait maman, tu dis oui? me lançait-elle les yeux remplis d’indignation.
— Ok ! ai-je murmuré.
— Merci, lançait-elle d’un air triomphant.
— Mais attention ! Oui tu te déguises, mais tu te déguiseras en princesse. Tu es ma princesse alors je ne veux pas te voir en vampire…Ça n’existe pas dans ma culture …

Était-ce la meilleure solution ? Comment trouver les ajustements pour répondre aux besoins des enfants ? Comment conserver mes principes à moi quand il s'agit de mes enfants qui vivent sous d’autres cieux ? Je suis simplement tourmentée. Je n’ose plus en parler avec des compatriotes. Les avis sont très divergents.

Quant à la proposition de ma fille de l’accompagner chercher les bonbons, c’est une autre histoire. Je ne pense pas pouvoir y aller. Que faut-il faire au juste ?
En tout cas, pour l’instant une seule idée me vient à l’esprit : j’ai hâte de voir ma princesse.

© 2007 - Ghislaine Nelly Huguette Sathoud - Tous droits réservés.


Quelques mots de l'artiste...

Biobliographie

Née à Pointe-Noire au Congo-Brazzaville, Ghislaine Sathoud vit au Canada depuis 1996. L’auteure s’intéresse aux droits des femmes. Elle a publié des ouvrages dans des genres littéraires différents (poésie, théâtre, nouvelle, roman, essai). Elle est l’auteure des ouvrages "Les Femmes d’Afrique centrale au Québec", "Le Combat des femmes au Congo Brazzaville" et "L’Art de la maternité chez les Lumbu du Congo".
Elle est contributrice dans des ouvrages utilisés pour des programmes d’enseignement. Elle a rédigé une pièce de théâtre enregistrée sur DVD qui sert d’outil de sensibilisation sur la violence chez les immigrants. Elle est titulaire d'une maîtrise en relations internationales obtenue en France et d'une maîtrise en sciences politiques obtenue au Canada. Elle a mené des recherches pour la Ville de Montréal dans le cadre de la préparation du troisième sommet des citoyens sur l'avenir de Montréal en 2004. On retrouve les résultats de ses recherches dans les documents publiés lors de ce Sommet.

En 2008, elle est l'une des lauréates du Prix littéraires Naji Naaman
pour son recueil de nouvelles Les trésors du terroir.